La volonté de vivre, de devenir, est un processus de destruction. Le besoin de détruire est « la réponse à une plus profonde requête de vivre, d’être, de devenir ». La pensée peut dépasser cette réaction, parce qu’elle l’a créée. Se comprendre soi-même complètement crée « le penser », « la faculté de nous sonder profondément »

En 1944, Krishnamurti distingue « deux capacités opposées » présentes en chacun :

  1. Détruire, être nuisible ; le processus du mal, le processus de destruction ; la volonté de détruire ; le besoin de détruire ;
  2. Créer, être bon ; le processus du bien, le processus de création ; la volonté de vivre, de devenir ; une « profonde requête de vivre, d’être, de devenir »

Ce processus double, du bien et du mal, se trouve en nous pour créer et pour détruire.

Ojai, Californie, 7ème Causerie, le 25 juin 1944

Jiddu Krishnamurti, Les oeuvres collectées de J. KRISHNAMURTI (1933-1968), Volume 3 « Le miroir de la relation » (1936-1944), Éditions de Kendall/Hunt Dubuque (Iowa), 1991-1992, p. 225.

Ces deux capacités ne sont pas indépendantes l’une de l’autre : la volonté de détruire n’est pas séparée de la volonté de vivre : la volonté de vivre, de devenir, est « en elle-même un processus de destruction ». Ce qui nous pousse à détruire est « une ignorance incontrôlée » et non pas « une force du mal, indépendante, incontrôlable » (« une volonté aveugle, une chose sur laquelle nous n’avons aucune sorte de contrôle », le « diable, « une force du mal indépendante »). Ce besoin de détruire n’est pas absurde : il est « la réponse à une plus profonde requête de vivre, d’être, de devenir ». Cette réaction peut être dépassée et « se ralentir, afin de se laisser examiner et comprendre ». Il n’existe pas « une zone aveugle qui ne peut jamais être observée, un résultat de l’hérédité, un résultat inné qui a tellement conditionné notre pensée que nous sommes incapables d’y plonger notre regard ». Donc il ne faut pas croire à « une puissance de destruction qui ne peut jamais être dépassée ». On peut comprendre ce qu’on a construit :

Ce que la pensée a créé, la pensée peut dépasser

Donc on peut comprendre le double processus de création et destruction, si l’on s’observe sans passion. Il faut par conséquent rejeter l’hypothèse selon laquelle « nous avons en chacun de nous, potentiellement, une force mauvaise et essentiellement destructrice, et que tout aimants, généreux, miséricordieux que nous puissions être, cette force complètement impersonnelle […] cherche à se manifester occasionnellement. […] nous n’aurions pas la moindre influence sur cette force ». En se comprenant soi-même, on peut « comprendre les causes de destruction et de création qui existent en nous » (comme notre conscience « est ouverte et claire », « les couches plus profondes de la conscience, avec tout leur contenu », « peuvent se projeter » en elle). Ici, se comprendre soi-même signifie :

…éclaircir la confusion qui règne dans la couche superficielle de notre conscience […] clarification de la couche superficielle […] la pensée-sentiment ne s’identifie pas, lorsqu’elle est détachée et, par conséquent, capable d’observer sans comparer ni juger […] la conscience consciente peut […alors] découvrir ce qui est vrai

On peut apprendre par soi-même « s’il existe ou non, en vous, un élément qui échappe absolument à [notre] contrôle, un élément destructeur », on peut savoir « s’il est le résultat d’un conditionnement ou si c’est de l’ignorance, ou si c’est une zone aveugle, ou encore une force du mal, indépendante, incontrôlable » et finalement découvrir si on peut ou non dépasser ce problème. Se comprendre soi-même complètement crée « le penser », « la faculté de nous sonder profondément »

Texte intégral :

Nous savons certainement qu’en nous-mêmes se trouvent deux capacités opposées ; détruire et créer, être bon et être nuisible. Mais sont-elles indépendantes l’une de l’autre? La volonté de détruire est-elle séparée de la volonté de vivre, ou bien la volonté de vivre, de devenir, est-elle en elle-même un processus de destruction ? Qu’est-ce qui nous pousse à détruire ? Qu’est-ce qui nous rend coléreux, ignorants, brutaux ; qu’est-ce qui nous pousse à tuer, à poursuivre une vengeance, à tromper ? Est-ce une volonté aveugle, une chose sur laquelle nous n’avons aucune sorte de contrôle – appelons-la le diable – une force du mal indépendante, ou une ignorance incontrôlable ? Ce besoin de détruire est-il absurde ou est-il la réponse à une plus profonde requête de vivre, d’être, de devenir ? Cette réaction ne peut-elle jamais être dépassée ou peut-elle se ralentir, afin de se laisser examiner et comprendre ? Ralentir une réaction est chose possible.

Ou y a-t-il une zone aveugle qui ne peut jamais être observée, un résultat de l’hérédité, un résultat inné qui a tellement conditionné notre pensée que nous sommes incapables d’y plonger notre regard, de sorte que nous croyons en une puissance de destruction qui ne peut jamais être dépassée ?

Assurément, une chose qui a été fabriquée peut être comprise par ceux qui l’ont construite. Ce processus double, du bien et du mal, se trouve en nous pour créer et pour détruire. Puisque nous l’avons créé, nous pouvons le comprendre ; mais pour le comprendre, nous devons avoir la faculté de nous observer sans passion, ce qui requiert une grande vigilance et une lucidité agile. Au contraire, nous pourrions dire que nous avons en chacun de nous, potentiellement, une force mauvaise et essentiellement destructrice, et que tout aimants, généreux, miséricordieux que nous puissions être, cette force complètement impersonnelle – comme un tremblement de terre – cherche à se manifester occasionnellement. Et de même que sur un tremblement de terre, sur les manifestations de la nature nous n’avons aucun pouvoir, ainsi nous n’aurions pas la moindre influence sur cette force.

Mais en est-il ainsi ? Ne pouvons-nous, en nous comprenant, comprendre les causes de destruction et de création qui existent en nous ? Si nous arrivons d’abord à éclaircir la confusion qui règne dans la couche superficielle de notre conscience, alors, dans celle- ci, du fait qu’elle est ouverte et claire, peuvent se projeter les couches plus profondes de la conscience, avec tout leur contenu. Cette clarification de la couche superficielle a lieu lorsque la pensée-sentiment ne s’identifie pas, lorsqu’elle est détachée et, par conséquent, capable d’observer sans comparer ni juger. Alors, seulement, la conscience consciente peut-elle découvrir ce qui est vrai. Ainsi vous pouvez apprendre par vous-même s’il existe ou non, en vous, un élément qui échappe absolument à votre contrôle, un élément destructeur. Vous pourrez savoir s’il est le résultat d’un conditionnement ou si c’est de l’ignorance, ou si c’est une zone aveugle, ou encore une force du mal, indépendante, incontrôlable. Et alors, seulement, vous pourrez découvrir si vous êtes capables ou non de dépasser ce problème.

Plus vous vous comprendrez, créant ainsi le penser, et moins vous trouverez en vous de tendances, d’ignorance, de forces que vous ne pouvez dépasser. Et, en cela, vous découvrirez une extase qui vient avec la compréhension, avec la sagesse. Ce n’est pas la foi et l’espérance des sois. En nous comprenant complètement et en créant ainsi la faculté de nous sonder profondément, nous trouverons qu’il n’y a rien qui ne puisse être examiné et compris. Cette connaissance de soi engendre la compréhension créatrice ; mais, parce que nous ne comprenons pas, il y a ignorance. Ce que la pensée a créé, la pensée peut dépasser

Ojai, Californie, 7ème Causerie, le 25 juin 1944

Jiddu Krishnamurti, Les oeuvres collectées de J. KRISHNAMURTI (1933-1968), Volume 3 « Le miroir de la relation » (1936-1944), Éditions de Kendall/Hunt Dubuque (Iowa), 1991-1992, p. 225.

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